Le billet de Justine Lux — Quand le numérique promet d’être vert : entre avancées concrètes et mythes persistants

En France, le numérique pèse déjà 4,4% de l’empreinte carbone et 11% de la consommation électrique (étude ADEME 2025). Sans action forte, ces chiffres pourraient exploser avec un triplement des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et une hausse de 80% de la consommation électrique du secteur numérique.

Face à cette trajectoire insoutenable, des technologies émergentes telles que l’informatique quantique, le stockage ADN ou encore les data centers spatiaux promettent des gains d’efficacité majeurs pour alléger l’empreinte du numérique. Ces avancées ouvrent-elles vraiment la voie à un numérique sobre ou s’inscrivent-elles dans la logique techno-solutionniste où la technologie sert d’alibi pour éviter les remises en question systémiques ?

Technologies émergentes : des solutions d’avenir… ou de nouveaux mirages ?

Alors que l’urgence environnementale pousse à innover, plusieurs pistes technologiques sont aujourd’hui explorées pour réduire l’empreinte du numérique. Quantique, spatial ou biologique : ces approches soulèvent autant d’espoirs que d’interrogations. Explorons-les à travers le prisme de leur réelle contribution à un numérique sobre.

Les technologies quantiques

Un ordinateur classique utilise des bits (0 ou 1) pour effectuer des calculs séquentiels, tandis qu’un ordinateur quantique exploite des qubits pouvant être en en superposition et intriqués. Cela lui permet d’utiliser des mécanismes d’interférence quantique pour explorer simultanément de multiples solutions, accélérant ainsi certains types de calculs. Pour certaines classes de problèmes, un ordinateur quantique pourrait théoriquement surpasser les supercalculateurs classiques.

Néanmoins cette technologie encore au stade expérimental est elle-même très énergivore et elle ne remplacera pas les ordinateurs classiques, elle sera très probablement couplée au HPC (high performance computing c'est à dire les supercalculateurs). Cette approche hybride s’illustre déjà avec notamment Quandela, une start-up française issue du CNRS qui cherche à combiner le monde du HPC avec celui du quantique.

Le quantique offre la promesse d’optimiser les calculs existants plutôt que de les remplacer, ouvrant ainsi la voie à des gains potentiels d’efficacité énergétique. Son déploiement ne doit pas occulter un risque majeur : celui de l’effet rebond. En rendant les calculs plus efficaces énergétiquement, cette technologie pourrait stimuler une explosion des usages, et in fine, alourdir la consommation globale plutôt que la réduire.

Le GreenSpace

Face à l’explosion de la consommation énergétique du numérique, et tout particulièrement des data centers qui supportent le cloud, le streaming et l’intelligence artificielle, des acteurs comme Google avec le projet Suncatcher ou encore la start-up Starcloud explorent une option radicale : transférer tout ou partie de ces infrastructures en orbite terrestre.

L’idée repose sur deux arguments environnementaux majeurs :

  • d’une part, ils seraient alimentés en énergie solaire en quasi permanence sans intermittence due au cycle jour/nuit ni au climat, ce qui offrirait un approvisionnement énergétique “vert”.
  • d’autre part, ces data centers spatiaux ne nécessiteraient pas d’eau pour les refroidir à l’image des stations spatiales actuelles, qui ne nécessitent que du liquide de refroidissement en circuit fermé et des radiateurs d'évacuation.

Cette solution pose néanmoins de sérieuses questions : le bilan environnemental doit aussi intégrer l’impact des lancements de fusées et la gestion des déchets en orbite. Actuellement environ 35 000 objets sont suivis par les réseaux de surveillance spatiale, mais seulement 9 100 d’entre eux sont des satellites actifs et les 26 000 restants sont des débris.

Par ailleurs, la viabilité économique de tels systèmes demeure incertaine, entre les coûts élevés des lancements, de la maintenance en orbite, et des opérations de désorbitation ou nettoyage. Sur le plan politique et réglementaire, l’espace devient un enjeu géostratégique, soumis à des tensions entre États et acteurs privés. Ajouter des data centers orbites ne ferait qu’intensifier ces conflits. Enfin, la saturation grandissante de l’orbite terrestre basse risque de rendre l’accès à l’espace de plus en plus fragile et risqué à long terme.

Stockage des données dans l’ADN

L’ADN, source d’inspiration phare du biomimétisme, offre des propriétés qui pourraient répondre aux limites des data centers qui stockent nos données : une très forte densité (1 gramme pourrait stocker 450 millions de téraoctets) et une conservation qui se compte en dizaines de milliers d’années si les conditions sont bonnes. Or, une grande part des données hébergées aujourd’hui, entre 60 et 80% sont considérées comme des archives et donc un type de stockage « froid » tel que l’ADN pourrait devenir comme un support idéal en théorie.

Contrairement aux data centers classiques, l’ADN peut conserver les données sans dépense énergétique continue, ce qui permettrait de réduire fortement l’empreinte carbone du stockage numérique.

Loin de concurrencer les disques durs à court terme, le stockage de données dans l’ADN doit encore prouver sa viabilité et passer à l’échelle industrielle. En France, la deeptech Biomemory travaille sur cette technologie et vise à en faire chuter drastiquement les coûts : leur objectif est d’atteindre environ 1 dollar le téraoctet, alors qu’aujourd’hui les coûts se situent plutôt autour de 1 000 dollars le mégaoctet.

Au-delà de la performance technologique et économique, la véritable question sera de savoir qui pilotera et régulera cette mémoire « durable » afin d’éviter toute forme de monopole ou de dérive.

Technologies et sobriété : deux faces d’une même médaille

Quantique, spatial ou biologique, le futur du numérique regorge de promesses. Mais tant que nos usages ne changent pas, aucune de ces prouesses ne pourra enrayer la croissance vertigineuse de nos besoins énergétiques. La technologie seule ne nous sauvera pas : la sobriété de nos usages doit aussi et surtout faire partie de la solution.

Justine Lux, Digital 4 Better

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Travail collectif réalisé sous la direction de Patrick d’Humières (Directeur pédagogique des Master Class 21, professeur à Sciences-Po, Président – Fondateur d’EcoLearn), d’Arnaud Herrmann (CEO-Fondateur d’EcoLearn, ex-Directeur DD d’Accor).

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