Olivia Gregoire

Dialogue avec Mme. Olivia Grégoire

Intervention de Patrick d’Humières, fondateur de l’Académie Durable Internationale & EcoLearn

Le 2 septembre 2021, à l’Hôtel de l’Industrie

Recevoir la 1° membre d’un gouvernement de la République en charge de « l’économie responsable » est un honneur pour tous les acteurs de la responsabilité et durabilité qui ont répondu à cette invitation de rentrée et que je remercie d’être là en cette rentrée dans une actualité chaotique… c’est aussi un signe du changement des temps qui rappelle que Bercy ne s’intéresse pas qu’à la croissance du PIB et aux comptes… et gère la conduite responsable des affaires au titre d’un traité OCDE que tout le monde semble oublier… et puis c’est surtout un plaisir aussi de vous recevoir, car vous avez été une des toutes premières adhérentes de notre collège des DDD engagés, fondé pour affirmer la fonction DD dans la suite du Grenelle de l’environnement; vous êtes une femme de courage, de convictions, à laquelle on doit la transformation historique portée par la loi Pacte (qui apporte la 1re définition de l’entreprise dans le CC, devant répondre aux enjeux sociaux et environnementaux, mais aussi la société à mission, l’évolution de la gouvernance, etc.)sur quoi quelques retours du Parlement seraient utiles !

Pour lancer cette discussion directe que vous avez bien voulu accepter, je dirais que nous nous sommes trop habitués à ce que la Direction du Trésor (seule ?) limite au reporting son approche de la place des entreprises dans la régulation (cf. depuis 2001), définisse ses compromis en tête à tête avec les organisations professionnelles, et à ce que le jour venu ce soit les US qui décident du régime fiscal mondial… face à « un capitalisme fou » – pour citer le PR qui a porté récemment une vision large et audacieuse de ces questions lors du Common Good Summit au côté de notre prix Nobel auteur de L’économie du bien commun… Si, la France a le mérite de sentir les situations, il lui reste encore à construire des stratégies collectives…

Quel est le contexte que nous vivons ? Des technologies formidables (cf. ARN) sont aux mains de quelques groupes, l’économie privée ou d’État n’a jamais été aussi puissante, autonome, emballée, distante d’une société civile mondiale de 10 milliards de personnes qui ne disposent pas de la sécurité matérielle et à laquelle on va dire qu’ils ne l’atteindront pas comme nous, car cela menace désormais la viabilité planétaire. « La grande fatigue de la mondialisation » met à l’épreuve nos démocraties et les entreprises semblent continuer à jouer comme sur le pont du Titanic… Alors qu’il nous faudrait – tous- impérativement faire un saut/rupture, environnemental, social, de gouvernance dans le modèle de croissance actuel…

Et qu’on ne dise pas que respecter les droits humains, afficher ses impôts, ne pas corrompre ou traiter ses impacts quand ils sont dangereux met en cause la compétitivité…

Le sujet sur lequel nous vous attendons et qui nous préoccupe ici est ce passage d’une RSE en bout de cycle, qui a montré ses limites, à une économie collective responsable, qui associe proactivement à la régulation globale entreprises, États & Société civile autour des ODD – en vue de concilier les capacités de l’économie de marché aux exigences supérieures de l’intérêt environnemental, social et de bonne gouvernance de la planète. Et qui nécessite que tous jouent le jeu…

Permettez-nous de vous exprimer 3 attentes à cet effet, que nous aimerions bien vous voir traiter dans le cadre de la présidence française de l’UE et des rendez-vous G7/G20 :

Premièrement – Ce concept d’économie responsable reste à expliquer, à co-définir car il n’est ni compris, ni partagé encore ! Cette pédagogie (cf. aujourd’hui) est la condition de succès d’une diplomatie européenne en la matière ;

  • De fait, la transformation ne se fera pas si on continue de dire aux entreprises « faites vos bonnes pratiques, à votre main (un peu de matérialité et des rapports sans conséquence), restez à votre rythme et les investisseurs en feront l’usage qui leur convient»
  • L’économie responsable nécessitera que les entreprises rentrent dans les agendas collectifs, avec au 1er rang l’Accord de Paris, les impacts ODD/2030… et que les régulateurs tirent les leçons du modèle de durabilité constaté (résultats/objectifs) à travers des incitations publiques – pour tous les opérateurs en UE (russes, chinois compris) dans leur périmètre mondial… cf. PFT/devoir de vigilance, texte phare qui sera le test de la capacité européenne à faire sienne l’économie responsable…

Les rendez-vous fondamentaux sont là, de la réforme de l’OMC, aux mécanismes carbone aux frontières, de la transparence des données climat à celle des contributions locales et fiscales etc. Il faut que l’UE les gère et que les entreprises arrêtent de les combattre en sous-main …comme on vient de le voir récemment à cause de la France…

Deuxièmement – Nous avons besoin de vous en pédagogue mais aussi en avocate car la France peut jouer aujourd’hui un rôle moteur au cœur de l’UE pour faire ce saut vers l’économie responsable 

  • Certes, il nous faudrait une approche publique interministérielle cohérente
  • certes, il nous faudrait un dialogue multi-parties au niveau européen pour rentrer dans la dimension contractuelle
  • et il vous faudra aller au bout des chantiers emblématiques (parmi les 50 évoqués par P. Canfin): porter en traité les DH des Nations Unies, la standardisation extra-financière à imposer aux IFRS, généraliser les SBT plus sérieux que la TCFD, introduire dans la gouvernance la stratégie climat & DD, les avis parties prenantes etc.

Je passe sur la certification de l’ISO 26000, la réforme des PCN, le droit international des groupes et la cohérence ESG et de vraies pratiques sur quoi BlackRock nous fait la leçon…

La France doit dépasser son obsession juridique des listes d’indicateurs pour attacher l’économie responsable à un modèle d’entreprise encouragé, optionnel, simple, qui s’explique sur le partage de la valeur (fair profit), qui démontre son utilité collective (/RE littéraire) – et qui assume son lien avec la démocratie comme principe supérieur de comportement… cf. rapport MR21, AG, 23/9)

Je termine sur notre 3e attente, conduire les entreprises à sortir de leur autosatisfaction RSE pour s’engager plus avant :

  • En osant des ruptures de business et de comportements, là où ils sont devenus irrecevables
  • En hissant leurs compétences collectives dès l’enseignement supérieur, selon le rapport Jouzel car il n’y a qu’un seul management, la durabilité, qui n’est pas le Monopoly.

Du fait de notre expérience de ces sujets dans un contexte français très rentier au fond et pionnier à la marge (merci aux  quelques audacieux, les Lachmann, Lecerf, Collomb, Riboud…), pas beaucoup aidés par l’État (225 ?), on ne peut nier néanmoins les progrès accomplis (dans la circularité, les achats…), mais je suis néanmoins pessimiste face aux murs qui sont devant nous, parce que le dialogue ONG, société civile et business ne fonctionne pas (cf. conférence IRIS).. alors que la planète sèche, s’affole et s’angoisse… Vous êtes essentielle pour débloquer cela (cf. refaire l’expérience du GreneIle ?)

Il manque à notre action collective la cohérence entre les affaires publiques, le lobbying, et le durable (cf. récent rapport OCDE ou Solvay ; derrière les incantations il y a des bras de fer secrets sur les règles a minima qui ne servent ni l’innovation durable, ni l’intérêt commun…

D’où ce projet de coalition « Responsible Regulation » que nous proposons aux acteurs avancés et à l’État pour anticiper les changements de règle et les co-élaborer… et faire progresser la culture de l’intérêt public dans l’économie privée.

Si l’on pouvait lancer une concertation commune sur cet enjeu, je vous en saurais gré…

Merci à vous, acteurs engagés et combattifs ici présents qui mériteraient qu’on raconte aussi leur histoire pour beaucoup remarquable…ils interviendront tout à l’heure dans les questions…

Et je vous remercie encore Mme. la Ministre de nous dire comment l’économie responsable peut rentrer plus dans la vie institutionnelle, administrative et politique, pour devenir notre nouveau projet collectif, français & européen, qui met en phase nos valeurs et notre économie…

Olivia Grégoire
Olivia Grégoire

Précédemment Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable

Patrick d’Humières
Patrick d’Humières

Ex-Directeur pédagogique des Master Class 21 ; Ex-professeur à Sciences-Po ; Cofondateur d’EcoLearn